RTFM... et la bienveillance ?

27 février 2023, par Didier Sampaolo

Quand est-ce qu’on a décidé qu’il serait normal de se parler mal ?

À la fin des années 90, quand IRC était à la mode, on pouvait voir, souvent plusieurs fois par jour, un développeur poser une question, et quelqu’un lui répondre « RTFM » (pour « Read The Fucking Manual », soit en français « Lis le putain de manuel », sous-entendu parce que la réponse y est, et que donc la question ne méritait pas d’être posée. On est ensuite passé à la mode du « Google est ton ami », pour dire à la personne ayant posté qu’elle pourra trouver sa réponse en cherchant sur Google.

Je peux comprendre, vraiment, qu’on n’aie pas envie d’aider certaines personnes. D’autant plus quand on fait ça bénévolement, souvent sur son temps libre.

Sur StackOverflow, par exemple, on voit souvent des étudiants venir copier/coller l’intitulé d’un exercice, en demandant directement des solutions. Ils n’ont pas l’air coincés par un point spécifique, ils veulent juste qu’on leur mâche le travail. Sur des forums, on voit aussi passer des gens qui veulent « créer un site ecommerce », mais n’ont aucune idée de comment ça se passe.

Par contre, j’ai de plus en plus de mal (et ça fait 20 ans que ça monte) avec les gens qui envoient simplement chier les personnes qui viennent pour de l’aide. Pourquoi ne pas leur parler gentiment ? Si c’est uniquement l’attrait de la phrase toute prête, c’est de la fainéantise. Si c’est pour le plaisir d’être désagréable, c’est déplacé.

Je soupçonne une raison encore plus profonde, et plus malsaine. On a tous notre petit syndrome de l’imposteur. C’est compréhensible : même ceux qui ont été le mieux formés peuvent se retrouver sur le carreau lorsque la technologie aura changé, et elle change tous les jours.

Là où le bât blesse, c’est qu’une fois que la personne qui voulait se faire aider sera montée en compétences, elle trouvera naturel et normal de reproduire ce comportement en ligne.

(et quand je cherche la solution à un problème, je tombe assez régulièrement sur un forum où quelqu’un avait la même question que moi, et cette personne s’est faite renvoyer vers Google. Super, en général, c’est de là que j’arrive…)

Pour le domaine de la musique, Romain Morlot parle de « Sainte Inquisition Musicale » pour les ultra-orthodoxes qui ont décidé, on ne sait pas trop pourquoi, que prêcher la bonne parole en ligne deviendrait leur mission de vie. En général, ils ne pardonnent aucun écart vis-à-vis de leur sainte doctrine.

C’est pareil chez les devs. Je ne compte plus les fois où j’ai vu un mec arriver, tout content, et expliquer qu’il avait utilisé curl (ou autre, hein, c’est un exemple fictif) pour faire X, et quelqu’un lui répondre, menton levé et ton hautain implicite, « pour ça tu dois utiliser Y ».

L’exemple typique, c’est avec les frameworks. Et encore plus avec les frameworks JS (comme par hasard).

Allez lire l’annonce d’une nouvelle feature React, vous trouverez forcément un commentaire « Angular le fait depuis 3 ans ». Mouais, et alors ?

Tu vois aussi des mecs arriver en disant « je galère sur un petit script de statistiques en PHP » et le couperet tombe immédiatement : « pour les stats il faut faire du Python ». Réponse suivante : « le Python c’est moisi, maintenant il faut faire du R »… Bon les jeunes, je voudrais pas casser l’ambiance, mais entre taper 2 requêtes SQL un peu complexes, et apprendre un nouveau langage, y’a tout un monde. Dans l’absolu, vous n’avez pas tort, mais vous êtes carrément à côté de la plaque.

Les personnes qui m’ont le plus aidé à progresser dans ma carrière sont celles qui ont été bienveillantes. Par exemple, mon ami Gabriel m’aurait expliqué, d’un ton doctoral mais avec le sourire, qu’il existe de très bons outils pour régler mon problème, en Python et en R, et qu’il en existe peut-être des implémentations en PHP. Ça me motive à aller voir les technologies citées, à suivre des tutos, potentiellement à adapter des choses vers le PHP, ou à switcher de langage « dans le pire des cas ».

Je conçois tout à fait qu’on aie ses préférences (je n’ai jamais caché mon amour pour Laravel – avec ses forces et ses défauts). Pour autant, il ne me viendrait pas à l’idée d’aller harceler les forums Symfony en leur expliquant comment l’herbe est plus verte chez nous, et encore moins en essayant de montrer du doigt les failles de leur outil pour espérant promouvoir ma façon de faire, qui serait la seule et unique bonne façon. Le pire, c’est que la bienveillance, ça marche bien : quand j’ai présenté Laravel devant les membres de l’AFUP Aix-Marseille, j’ai bien senti que je n’arrivais pas en terrain conquis (la plupart des participants étant plutôt symfony-addicts), et ça s’est pourtant très bien passé. J’ai même noué des relations amicales avec des pro-symfony, avec qui j’échange encore régulièrement, très cordialement.

Bref, pour conclure, ma proposition est la suivante : et si on essayait de se parler un peu plus amicalement ? Après tout, on est tous dans le même bateau…